Dossier : L'avocat en entreprise
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Delphine Gallin, avocat au Barreau de Marseille, MCO et Présidente nationale de l’ACE introduit le webinar :
« Le secret professionnel de l’avocat est un droit fondamental du Justiciable et un de nos avantages concurrentiels. Nous y sommes férocement attachés. Cela fait longtemps que l’ACE se bat pour défendre notre secret professionnel face à une succession d’attaques dont il est l’objet et d’une réforme qui le fragilise, sachant qu’il n’y a pas de bonne défense sans un rôle fondamental de conseil comme attribut indissociable, dans toutes les matières de nos activités d’avocats. Nous avons souhaité partager ce temps de réflexion en profitant des regards croisés de commissions de l’ACE et des autres intervenants à ce webinar. »
Emmanuel Raskin, avocat au Barreau de Paris, ancien membre du CNB et 1er Vice-Président national de l’ACE souligne que :
« S’il est un socle qui ne doit pas s’écrouler c’est celui de notre secret professionnel. L’article 66-5 de la loi du 31/1/1971 a pris le soin d’énoncer que les consultations, correspondances, notes d’entretien émanant d’un avocat et plus généralement toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel et ce en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense. Trop de décisions ont été rendu en contrariété avec ce texte, comme de la jurisprudence de la CEDH (par ex : CEDH, 6 déc 2012, Michaud / France). Le rapport Perben a rappelé sans ambiguïté l’importance du secret professionnel dans l’activité de conseil de l’avocat. Pourtant le projet de loi de “confiance” en la Justice doit inquiéter la profession car il se contente des propositions de la commission Mattei, dont le rapport n’a émis aucune proposition tendant à voir clairement affirmé que le secret professionnel de l’avocat s’intègre dans le cadre de son activité de conseil. En outre ce projet de loi déchire notre secret professionnel en deux en insérant dans l’article préliminaire du code de procédure pénale “le secret de la défense” qui laisse envisager une consécration de cette jurisprudence mal fondée et néfaste pour les justiciables et leurs avocats. Alors que dans le même temps la Cour de Cassation retient notre responsabilité sur le fondement d’un non-respect de notre devoir d’efficacité et de notre devoir de conseil. L’intersyndicale est unanime dans ce combat mené par l’ACE. Dans le même temps la Direction des affaires civiles et du sceau de la Chancellerie a fait part d’un projet de statut de l’avocat en entreprise, avec un entre-deux, le “legal priviledge” rattaché aux seuls actes, ce qui n’est pas satisfaisant comme l’atteste l’expérience menée en Belgique. »
Le « legal priviledge » en common law est explicité lors du Webinar par notre confrère franco-britannique André Bywater, concernant le droit applicable en Angleterre et au Pays de Galles.
Caroline de Puységur, MCO à Paris et co-Présidente de la Commission déontologie & nouveau métiers de l’avocat de l’ACE, expose que :
Faisant partie en sa qualité de MCO d’une délégation auprès de la Chancellerie pour être auditionnée concernant la protection des informations des entreprises, elle témoigne qu’une option a été émise par le Ministère ;
- Entre l’avocat en entreprise
- Et la création d’une profession réglementée de juristes en 2021
Elle dénonce une situation qui serait « anachronique », comme le prouve l’exemple de la Belgique ou une telle profession réglementée de juristes a été crée en 2000, soit depuis plus de 20 ans. Aujourd’hui la Présidente de cette profession réglementée de juristes réclame une harmonisation vers le haut sur le modèle du secret professionnel de l’avocat.
Caroline de Puységur souligne :
Qu’il « s’avère très compliqué de gérer deux niveaux de protection et que cela crée un risque de contentieux futurs en matière de preuve. Seul un statut uniforme d’avocat en entreprise serait susceptible de tendre vers cette harmonisation vers le haut. -Que Le Barreau de Paris est au côté de l’ACE dans sa défense du secret professionnel et a réitéré : Son refus de la création en France d’une telle profession réglementée de juristes.
Et son refus du “legal privilege” Son souhait d’aller au bout de son travail de réflexion concernant l’avocat en entreprise. »
Solenne Brugère, ancienne MCO à Paris et Présidente de la commission santé, qualité de vie et égalité de l’ACE ;
Fait part de son expérience notamment comme ancienne responsable de la commission secret professionnel et confidentialité à l’Ordre de Paris (elle évoque en moyenne une centaine de saisine de ladite commission par trimestre). Elle précise que : « quelque soit notre mode d’activités et en toutes matières nous devons avoir le souci constant du respect de notre secret professionnel. Tout manquement à nos règles visées aux articles 2, 2-1, 2-2 et 3 du RIN, ainsi qu’à l’article 226-1-3 du code pénal nous expose à un éventuel cumul de poursuites pénales et disciplinaires. Nous devons être particulièrement vigilants notamment du fait de l’essor de la numérisation ou des réseaux sociaux, des risques de poursuites diverses ou de perquisitions de nos cabinets et ne pas hésiter si nécessaire à saisir nos Ordres en amont. » Conjointement avec le professeur Julien Laurent, elle anime une nouvelle rubrique très utile « pratique de déontologie » dans la Gazette du Palais (Les 2 premiers articles figurent dans les numéros de la Gazette du Palais des 9 février et 23 mars 2021).
Maria Lancri et Dominique Dedieu, avocats au Barreau de Paris et co-présidentes de la commission Ethique et Compliance de l’ACE ont répondu aux questions suivantes :
Pourquoi le secret professionnel rend l’avocat particulièrement apte à mener l’enquête (après avoir rappelé la définition juridique d’une enquête). Comment concilier enquête et secret professionnel ? A l’extérieur de l’entreprise vis-à-vis ;
- Du juge
- Des autorités
- Du public et des journalistes A l’intérieur de l’entreprise
- Secret et client (entreprise)
- Secret et dirigeant du client
- Secret et salariés du client
« Le vade-Mecum du Barreau de Paris en matière d’enquête a été remis à jour l’an dernier. Il est également indispensable avant de démarrer une enquête de consulter le guide très détaillé du CNB. Dans le cadre d’une enquête interne, l’entreprise cliente peut être amenée à décider de divulguer des éléments de l’enquête, portés à la connaissance de l’avocat enquêteur, et ce pour des raisons stratégiques, plus ou moins contraintes par les règles posées par les autorités amenées à se pencher sur l’enquête interne.
Attention aux lignes directrices conjointes de l’Autorité française anti-corruption (AFA) et du Parquet national financier( PNF) rappelant que, si l’avocat est tenu au secret professionnel, tel n’est nullement le cas de son client. Le PNF et l’AFA en déduisent que “dans l’hypothèse ou l’entreprise refuse de transmettre certains documents, il appartient au parquet de déterminer si ce refus apparaît justifié au regard des règles applicables à ce secret. En cas de désaccord, le parquet apprécie à partir de ce refus si l’absence de remise des documents concernés affecte défavorablement le niveau de coopération de l’entreprise.” !
Les textes du code monétaire et financier (CMM) à examiner sont les suivants : L 511-33,, L 561-1 et 561-15 (obligation de déclaration au titre d’une infraction de blanchiment) ; Et L 621-9-3 du CMM qui dispose que le secret professionnel est légalement opposable à l’AMF. Pour sa part l’Autorité de la Concurrence a affiné son traitement des éléments protégés par le secret professionnel de l’avocat en le reconnaissant aux seules correspondances échangées entre l’avocat et son client et à celles liées à l’exercice des droits de la défense et acceptant de placer sous scellés fermés provisoires ces correspondances. Face à des pratiques aussi variées, le sort du secret professionnel de l’avocat enquêteur est très incertain. »
Catherine Boineau, avocat au Barreau de Paris et Présidente de la section internationale de l’ACE :
Rappelle que la section internationale a crée un pôle Europe, animé par Jean-Paul Hordies, avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles, afin de créer le réflexe droit européen chez nos confrères, et pouvoir diligenter des recours notamment contre les violations de notre secret professionnel.
En premier lieu, Catherine Boineau mentionne les textes européens fondateurs protecteurs du secret professionnel de l’avocat qui est « un principe général, mais qui a valeur de droit fondamental ».
« Les deux textes fondateurs sont : La Convention européenne de sauvegarde droits de l’homme et des libertés fondamentales (signée le 4 novembre 1950 à Rome) On relève 2 articles relatifs à la protection de notre secret professionnel L’article 6 : sur le droit au procès équitable
L’article 8 : sur le droit au respect de la vie privée et familiale La Charte des droits fondamentaux (signée le 7 décembre 2000 à Nice).
Les 54 articles de cette Charte ont la valeur juridique d’un traité grâce au traité de Lisbonne, ce qui veut dire que l’on peut l’invoquer directement et très efficacement. C’est l’instrument de travail des juges du droit commun du droit européen, sachant que je juge français est un juge du droit commun du droit de l’Union. Les articles 7 et 47 de la Charte préservent le secret professionnel. »
En second lieu, Catherine Boineau recommande :
« la consultation de la documentation figurant sur le site du conseil des barreaux de l’Union européenne (CCBE), qui est malheureusement inconnu de beaucoup de confrères et qui depuis sa création en 1960 n’a eu de cesse de rappeler par une série de résolutions depuis 1965 l’importance de la défense du secret professionnel au sein de l’Union. Dernière résolution en date, celle du 2 décembre 2016 en 9 points sur le secret professionnel de l’avocat. Depuis que la directive de 1977 sur les services, puis la directive de 1998 sur l’établissement ont été promulguées, nous avons désormais au sein des barreaux de tous les Etats de l’Union des règles communes qui nous permettent de protéger ce secret professionnel. A noter la nouvelle déclaration le 15 septembre 2017 du CCBE en tant que porte-parole de toute la profession des avocats en Europe (aujourd’hui plus d’un million d’avocats européens) qui s’inquiète des atteintes au secret professionnel de l’avocat. »
Depuis que la directive de 1977 sur les services, puis la directive de 1998 sur l’établissement ont été promulguées, nous avons désormais au sein des barreaux de tous les Etats de l’Union des règles communes qui nous permettent de protéger ce secret professionnel. A noter la nouvelle déclaration le 15 septembre 2017 du CCBE en tant que porte-parole de toute la profession des avocats en Europe (aujourd’hui plus d’un million d’avocats européens) qui s’inquiète des atteintes au secret professionnel de l’avocat. »
Catherine Boineau mentionne en conclusion deux documents fondamentaux, à savoir :
- Le code de déontologie des avocats européens datant du 28 octobre 1990 et dont le préambule à l’article 1.1.1 souligne notamment que : « Le respect de la mission de l’avocat est une condition essentielle à l’Etat de droit et à une société démocratique. »
- La charte des principes essentiels de l’avocat européen qui reprend les principes essentiels, dont en premier lieu le secret professionnel.
Jean-Paul Hordies poursuit en rappelant tout d’abord un principe fondamental de l’Union européenne, à savoir que :
« Dans cette matière nous sommes en matière de compétence partagée entre l’UE et les Etats Membres. Mais il y a une ligne de partage dans le traité sur le fonctionnement de l’UE, à savoir que lorsque celle-ci a pris des initiatives (NB / nous sommes la seule profession à bénéficier de 2 directives sectorielles), notamment avec 54 arrêts de la CJUE qui encadrent la profession d’avocat, Le législateur national ne peut pas toucher à ce noyau dur, sauf à déborder de sa compétence or c’est ce qu’il fait (voir notamment le projet de loi en France ou le législateur en Espagne). Ne vous limitez pas à regarder une loi nationale, un texte interne même constitutionnel, le droit privé de l’Union et les arrêts de la Cour de Justice priment très largement ces textes nationaux depuis près de 50 ans. La Cour de Justice est le meilleur avocat des avocats depuis longtemps, à travers une série d’ arrêts qui relèvent une valeur de principe considérables, on relève notamment :
- Le 18 Mai 1982 un arrêt AM&S (aff :C-115/79) Qui va affirmer pour la première fois que le secret professionnel de l’avocat relève d’un principe général de droit de l’Union européenne. Or dans la hiérarchie des normes les principes généraux viennent juste après le droit primaire et s’imposent donc tant au droit dérivé qu’évidemment au droit national. Or déjà en 1982 le Gouvernement français est intervenu à la barre dans une affaire britannique pour défendre l’idée qu’il « n’existe pas de principe général de droit de l’Union protégeant la confidentialité des courriers entre avocats et clients…, ce qui a été heureusement battu en brèche.
- Le 6 juin 2019 PM / Etat Belge (aff C 264-18) Cet arrêt va définir la relation entre l’avocat et le client, Qui se caractérise par la « confidentialité la plus stricte dans l’intérêt du Justiciable (libre choix, rapport de confiance et en toute liberté) ceci relève d’un droit fondamental » C’est le bréviaire de ce que devrait prendre en considération un législateur national, ainsi que le Conseil d’Etat en France. Ce droit de l’Union européenne est supérieur dans la hiérarchie des normes au droit international conventionnel. La Convention européenne des droits de l’homme appartient au droit international conventionnel avec des limites, soit avec effet direct mais sans la même force contraignante. Cela n’a pas empêché la Cour de Strasbourg de rendre de nombreux arrêts sur le secret professionnel (voir la fiche technique sur le site de la Cour – secret professionnel des avocats montrant une vingtaine d’arrêts dont les arrêts français ; Michaud, Vinci, Versini, Laurent et André). Cette Cour est tatillonne en vue de faire respecter le secret professionnel qui protège le client en visant les article 6 et 8 (voir notamment l’affaire Laurent de 2018).
Interviennent ensuite David Lévy, avocat au Barreau de Paris, membre du CNB collège ACE, et Matthieu Boissavy avocat aux Barreaux de Paris et de New-York, Ancien MCO et membre du CNB collège ACE :
David Lévy expose que:
« Le texte qui en ce moment nous préoccupe le plus et nous fait travailler le plus au CNB est évidemment le projet de loi de “confiance dans l’institution judicaire”, qui a plusieurs volets. Un volet discipline et un volet pénal très prononcé dans lequel se pose la question du respect ou de l’atteinte au secret professionnel. On relève notamment une proposition de modification de l’article préliminaire du CPP (article 3 du projet de loi) qui pose un problème de principe important ; Et une seconde disposition ennuyeuse qui a trait à une modification de l’article 434-7-2 du code pénal. » Selon la résolution du CNB du 12 mars 2021 : « Il est nécessaire de s’assurer que la nouvelle rédaction de cet article n’entrave pas l’exercice des droits de la défense quand l’avocat pour la défense de son client et sans nuire à l’enquête ou l’instruction en cours, utilise légitimement les informations issues de cette enquête ou instruction. »
Mathieu Boissavy mentionne que la nomination du nouveau Garde des Sceaux avait fait naitre l’espoir de voir : « reconnaitre l’opposabilité du secret professionnel aux autorités de poursuites en toutes matières, en déplorant une jurisprudence divergente et celle dominante en l’état de la Chambre criminelle qui exclut l’opposabilité aux autorités de poursuites du secret professionnel en matière de conseil ». Dernière Jurisprudence en date de la Chambre criminelle, celle du 25 novembre 2020 (une affaire qui concerne une saisie par l’autorité de la concurrence entre un avocat et son client-entreprise en matière de conseil) la chambre criminelle admet « la saisine de ces correspondances au motif que ces documents ne relèveraient pas de l’exercice des droits de la défense ». Le travail du CNB va désormais s’opérer auprès des parlementaires en s’appuyant notamment sur le rapport Perben et sur le rapport Gauvain relatif à la protection de la compétitivité des entreprises françaises sur leur aspect juridique.
En complément, David Lévy souligne que :
Dans l’avis qu’il a donné : « le Conseil d’Etat entérine totalement la Jurisprudence de la Cour de Cassation qui exclut la protection du secret en matière de conseil. Même dans son activité de conseil du gouvernement dans la rédaction des textes, le Conseil d’Etat choisit de s’aligner sur la jurisprudence de la Cour de Cassation et d’en avoir une vision du secret totalement hémiplégique. De plus le conseil constitutionnel a une jurisprudence ancrée le concernant malgré 3 recours (notamment décision du 24 juillet 2015 et du 7 avril 2017) le Conseil Constitutionnel répète : qu’“aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et des correspondances des avocats”. La porte de la convention européenne des droits de l’homme, mais aussi et surtout du droit de l’Union européenne, reste ouverte et c’est sur ce terrain – là qu’il va falloir tant au moment des auditions parlementaires que de la rédaction des amendements, ou des contentieux ultérieurs faire appel à ces arguments là pour faire valoir la vision européenne du secret professionnel, sur une vision très restrictive qui est celle des juridictions françaises. »
William Julié, avocat au Barreau de Paris, co-Président de la commission de droit pénal de l’ACE :
Traite du sujet sensible suivant : « les écoutes : les nouveautés envisagées par le projet de loi pour la confiance dans l’institution judicaire, seront-elles à même de protéger efficacement le secret des correspondances entre l’avocat et son client dans le cadre d’une mesure d’interception de communications ?
« Ce qu’on retrouve le plus souvent dans les dossiers pour viser certains clients sont les perquisitions et les écoutes téléphoniques, et cela se retrouvera au centre des batailles judiciaires, (en particulier l’affaire “Bismuth” allant jusqu’à l’examen des fadettes d’avocats). Nous ne sommes pas à l’abri de voir nos conversations avec des clients ou avec d’autres confrères retranscrites dans les dossiers. Il faudra s’interroger sur la pratique entre une écoute enregistrée et retranscrite et une écoute non forcément retranscrite, il y a un delta qui a son Importance (question notamment des écoutes filantes). De telles écoutes non retranscrites qui de sources inconnues vont nourrir d’autres enquêtes. Sur le régime actuel, pour mettre sur écoute la ligne de l’avocat, il faut soit une instruction, soit en enquête avec des critères de criminalité organisée avec des infractions dépassant un certain quantum. Le Bâtonnier doit être informé (100-5 et 100- 7 du CPP). Sur une ligne tierce, la protection est moindre, simplement une construction jurisprudentielle, le contenu doit notamment “faire présumer de la participation de l’avocat à la commission d’une infraction”.
Dans son arrêt terrible du 22 novembre 2016, la Chambre criminelle pour valider des écoutes téléphoniques non prises régulièrement a statué que : “le droit de la défense, cela n’était pas une conversation hors cadre d’une garde à vue, ou hors cadre de poursuites judiciaires” et donc cela exclut un grand nombre de situations, y compris post sentencielles.
Si vous conseillez quelqu’un déjà condamné, est-ce que vous êtes dans les droits de la défense ? Quid en matière de conseil en matière de défense transfrontalières etc.
On relève 2 avancées sur les écoutes dans le projet de la loi nouvelle :
- Va être inscrit dans la loi, y compris pour les écoutes filantes, le fait qu’il faudra avoir des raisons plausibles de soupçonner la commission d’une infraction par l’avocat. Devront maintenant être autorisées les écoutes concernant un avocat ou un client parlant avec son avocat par un Juge des libertés et de la détention, saisi soit par le Juge d’instruction, soit par le Procureur dans le cadre des enquêtes préliminaires ou de flagrance. C’est un vrai progrès car les JLD sont d’expérience un réel contre-poids aux demandes qui peuvent leur être adressées par les autorités de poursuite ou d’investigation. A partir du moment ou l’écoute sera autorisée, il y aura la nécessité d’un contrôle à partir d’une plate-forme de suivi avec l’aide d’un algorithme à faire interagir avec le rôle du JLD. Pour les fadettes, le projet de loi prévoit :
- L’ordonnance du JLD :
- L’information du Bâtonnier ;
- Dispositions à peine de nullité »
Antoine Moizan, avocat au Barreau de Paris, co-Président de la Commission de droit pénal de l’ACE souligne que :
« En premier lieu cette notion de secret professionnel de la défense n’est pas claire. Dans nos cabinets d’avocats pénalistes ont fait beaucoup de conseil et cela devient une part croissante de notre activité. Quid du risque pénal, le client engage-t-il sa responsabilité dans telle ou telle opération etc. La réforme de l’article préliminaire du CPP n’est pas en adéquation avec notre travail d’avocats pénalistes dans l’intérêt des justiciables. Comment va-t-on distinguer une situation dans lequel on conseille, de celle ou on défend alors que l’on fait toujours des deux.
Par exemple, s’il y a un dépôt de plainte qui a été déposée et que je suis accusé est-ce que je me défend. Quid lors de toutes les stratégies de défense ou de conseil précontentieuses ? Cette façon de distinguer le conseil et la défense, crée des situations impossibles qui conduit un pénaliste à affirmer qu’il ne faut plus écrire, ni faire de consultation écrite, ni parler au téléphone, afin de faire en sorte que ses conseils soient les plus éphémères possibles pour ne pas être opposables à ses clients. !
En second lieu, beaucoup de difficultés vont survenir. Par exemple un client vient vous consulter pour savoir si des actes de corruptions se sont passés au sein d’une filiale. L’avocat fait une enquête et constitue un dossier de preuves qui doit rester secret car s’il est à charge, il peut se retourner contre son client. On ne pourra plus faire ce travail si le secret n’est pas protégé.
De même lors d’acquisitions ou de fusion absorptions, comment effectuer les audits du risque pénal, s’agissant de pur conseil ? Un discrédit est jeté sur notre profession, alors que nous sommes là pour conseiller nos clients pour leur éviter un risque et engageons notre responsabilité. Dans l’immense majorité des cas, la confidence faite à l’avocat empêche la commission des infractions, qui sont souvent tellement techniques qu’il n’ont pas conscience de l’avoir commis. Il est essentiel de nous battre et de nous mobiliser car c’est le secret de tous qui est ébranlé. »
Gwenaël Gauthier, avocat au Barreau de Paris, co-présidente de la commission droit fiscal de l’ACE intervient sur le sujet suivant :
L’avocat fiscaliste est impliqué dans la lutte contre la fraude fiscale au travers de diverses obligations déclaratives. Comment lesdites obligations déclaratives (notamment celles issues de DAC 6), elles sont susceptibles d’empiéter sur le respect de notre secret professionnel ?
« Les avocats fiscalistes ont majoritairement une activité de conseil fiscal, si elle n’est plus couverte par le secret, nous pouvons mettre la clé sous la porte et aller travailler pour des experts comptables qui eux au titre de leur activité accessoire auront le droit de faire du conseil fiscal et seront toujours couverts par le secret.
On se retrouve dans une distorsion de concurrence abominable pour les avocats fiscalistes. Les obligations issues de DAC 6 / obligation de déclaration des montages transfrontaliers potentiellement agressifs mais bien entendus considérés par l’avocat comme licites, concernent les intermédiaires dans ces montages, qu’il s’agisse des intermédiaires concepteurs ou prestataires de services, qui conseillent sur la conception la réalisation et la gestion de ces montages. Les avocats fiscalistes sont potentiellement impliqués soit comme concepteurs, soit comme intermédiaires prestataires de services dans ces montages transfrontaliers.
Cette obligation de déclaration pose d’énormes difficultés puisque compte tenu du secret professionnel on ne pouvait pas obliger les avocats à déclarer ces montages (dispense de la directive) néanmoins le texte français a choisi de conduire à une déclaration qui peut être faite par l’avocat, à condition qu’il ait obtenu l’accord préalable de son client. Ce qui aboutit à faire lever le secret professionnel par le client, alors qu’il est absolu et illimité.
Ce qui pose également la question de l’indépendance de l’avocat. En cas de refus de déclaration par le client, l’avocat doit justifier, qu’il a notifié à un autre intermédiaire ou au contribuable son obligation de déclaration On tourne en rond et aboutit à des aberrations. Remplir ces obligations au titre de DAC 6 devient extrêmement dangereux pour l’avocat. Même en cas de communication d’éléments détaillés au contribuable aux fins de déclaration par celui-ci, il y a un risque d’auto-incrimination si le montage n’est pas considéré in fine comme licite. Un contentieux est actuellement pendant devant la CJUE sur ce sujet, mais que fait-on dans l’intervalle, pour éviter de mettre à mal ce secret, Il faut être très prudent sur cette problématique.
Stéphanie Nemarq-Attias, avocat au Barreau des Hauts de Seine et co-présidente de la commission de droit fiscal de l’ACE, intervient sur la question de la préservation du secret professionnel lors des perquisitions fiscales :
L’article L 16 B du LPF instaure un droit de visite et de saisie pour la poursuite d’infraction en matière d’impôt direct et de taxes sur le chiffre d’affaires. 2 grandes questions se posent concernant le secret professionnel :
- Est-ce que tous les documents peuvent être saisis au cours d’une perquisition fiscale : évidemment non. Pourtant les agents du fisc ont pu avoir connaissance de documents ou correspondances d’avocats. Même si des saisies sont par la suite annulées, cela n’invalide pas la procédure de visite domiciliaire. Les agents du fisc vont pouvoir faire cheminer une réflexion sur les agissements du contribuable, le secret professionnel n’est pas totalement préservés par ce biais. Conseils pratiques : lorsque l’on est appelé par son client sur les lieux de la perquisition, il faut dès le départ identifier les documents qui seraient insaisissables, grâce à une série de mots clés génériques ou celui des noms des avocats de l’entreprise etc, afin de demander à l’OPJ d’écarter tous les documents couverts par le secret Veillez à faire constater tout incident au PV
- Les perquisitions fiscales au cabinet de l’avocat : l’ordonnance du JLD doit mentionner précisément les présomptions de fraudes qui justifieraient cette procédure et les agents du fisc doivent en principe solliciter la présence de notre Bâtonnier, mais il faut savoir que le Juge n’est pas tenu de le prévoir dans son ordonnance. Là encore notre secret professionnel n’est pas complétement garanti à travers cette procédure de perquisition fiscale.
En pré-conclusion, Emmanuel Raskin souligne que :
Le secret professionnel est une composante au procès équitable C’est un droit fondamental qui est reconnu par la jurisprudence européenne Ne pas se fonder sur l’interprétation du droit dérivé pour enfreindre les règles fondamentales protégées par le droit de l’Union. Il va falloir se montrer extrêmement vigilant. Nous avons bien cerné tous les dangers que nous encourons si le conseil n’est pas protégé par le secret professionnel. Il va nous falloir de l’audace et comme l’écrivait Stendahl : « Les peuples n’ont jamais que le degré de liberté que leur audace conquiert sur la peur »
Delphine Gallin clôture le webinar en affirmant : « Bienheureux celui qui maitrise le droit de l’Union »
- C’est un des axes fondamentaux que l’on aura retenu aujourd’hui. L’Union Européenne nous permet d’entrevoir des jours meilleurs pour la protection de notre secret professionnel et assurer un Etat de droit efficient
- En attendant nous retenons de ce webinar des axes de réflexions très pragmatiques.
Il y a ceux qui par une sorte de désespoir ne communiquent plus du tout. C’est ce confrère pénaliste évoqué par Antoine Moizan qui n’écrit plus et ne communique plus sauf en RV à son cabinet, comment fait-il dans de contexte de crise sanitaire ! Notre confrère britannique disait qu’il fallait peut-être ne plus correspondre par mail. Comment pouvons travailler dans ces conditions. Cela illustre nos difficultés d’exercice. Nous pouvons peut être avoir des outils techniques comme l’a mentionné William Julié, en parlant des travaux en cours à l’initiative du CNB qui opère la différence entre les transmissions écrites et celles qui ne le sont pas et peut-être utiliser cette fameuse intelligence artificielle pour trouver un entredeux pour limiter les atteintes à notre secret professionnel qui aurait pour fonction de suspendre une écoute lorsqu’elle entraverait le secret professionnel.
Le réflexe naturel est d’opposer la défense pénal au conseil, or Antoine Moizan nous a indiqué que pour construire une défense pénale, il est plus que nécessaire, voir indispensable de procéder par la voie du conseil et d’auditer le risque pénal. Il a rappelé la place de l’avocat dans la cité en mentionnant notamment que selon lui la confidence faite à un avocat c’est cela permet de ne pas commettre l’infraction.
Nous touchons là à la sacralisation de notre fonction, nous participons à un équilibre social. Comme le disait un ancien Bâtonnier de Paris “on a le droit d’avoir une mauvaise idée” et on a le droit de la confier à un conseil qui sera à même d’indiquer que la voie prise n’est pas la bonne.
L’ACE oeuvre également pour qu’il soit remédié aux craintes légitimes de nos confrères fiscalistes évoquées par Gwenaël Gauthier dans le cadre de DAC 6, cette atteinte à notre secret nous place en outre dans une position très défavorable à l’égard des autres professions.
Enfin, Stéphanie Nemarq-Attias nous a donné des conseils très pratiques pour agir en cas de perquisitions fiscales. Nous sommes dans une situation d’urgence, il nous faudra donc être audacieux, mais n’est-ce pas un pléonasme d’être un avocat audacieux.
Nous aurons plus de recul pour traiter ce sujet, ces questions pratiques, fondamentales et mêmes philosophiques, lors de notre congrès de Marseille des 7 et 8 octobre prochain. »
Synthèse au format PDF
Consultez la synthèse du webinar du 21 avril 2021 sur le thème : la défense de notre secret professionnel dans le cadre des réformes en cours au format PDF