La juste place de la victime dans le processus judiciaire

par | 27 Juin 2020 | Pénal

Dans le JDD du 21 juin dernier, des auteurs éminents s’élèvent contre « l’hystérie pénale » qui caractérise l’inflation actuelle de plaintes pénales déposées contre des acteurs de la lutte contre le Covid -19 , et que la « perspective du procès pénal pousse les dirigeants à se couvrir et inhibe l’action politique ». Cette dérive semble effectivement préjudiciable. En l’espèce les recours d’avocats spécialisés contre l’Etat sur le fondement motivé d’une carence fautive, devant les juridictions administratives, et leurs demandes d’une mise en place d’un fonds d’indemnisation spécifique paraissent souvent plus adaptés.

Mais je ne suis pas d’accord avec cette phrase de l’article : « Reste la douleur des victimes. Si l ‘on en croit la pratique dans la plupart des démocraties, les tribunaux ne sont pas le lieu privilégié pour qu’elles s’expriment, sauf comme témoins. La primauté des victimes en France met à mal les principes du droit pénal et du droit constitutionnel ». Cette généralisation me semble inadéquate.

L’attention d’une nation au sort de ses victimes est un critère de progrès de la société démocratique

Alain Spilliaert

L’attention d’une nation au sort de ses victimes, et notamment à leur place dans le processus judiciaire, est un critère de progrès de la société démocratique.

Notre procédure pénale française, se caractérise notamment, suite à un arrêt de la Cour de Cassation de 1906, par la faculté pour les victimes d’un crime ou d’un délit, qui ont personnellement souffert de l’infraction, de mandater un avocat et de se constituer partie civile. Les Français ne se rendent pas toujours compte de l’impact très fort sur le plan humain et des possibilités d’efficacité procédurale de cette faculté d’agir en qualité de partie civile.

Si la qualité de partie civile est entendue largement par la Jurisprudence, l’exercice de l’action civile au pénal est dépendante de l’action publique du Parquet.

La Chambre criminelle de la Cour de Cassation vient opportunément de rappeler par un arrêt du 1er avril 2020 que, par application de l’article 3 du code de procédure pénale : « les tribunaux répressifs ne sont compétents pour connaître de l’action civile en réparation du dommage né d’une infraction qu’accessoirement à l’action publique. »

Il n’y a donc pas juridiquement dans notre droit de « primauté des victimes en France ».

L’objectif est que les parties civiles puissent quitter à terme leurs habits de victime

Alain Spilliaert

Lorsqu’un avocat reçoit notamment des proches d’une victime d’un crime qui entendent se constituer partie civile et avoir accès au dossier pénal en jouant un rôle actif, utile à l’enquête et pour eux-mêmes , il a en face de lui des personnes qui veulent connaître les faits et pour lesquelles cela devient rapidement une obsession. Qu’est-il arrivé? La personne victime a-t-elle souffert et pendant combien de temps? Elles se reprochent de ne pas avoir été là ou de ne pas avoir dit ou fait quelque chose qui aurait peut-être empêché ce crime. Leurs sentiments sont parfois irrationnels jusqu’à ce qu’elles puissent connaître les faits.

Les avocats des parties civiles ont une charge importante dans la défense de leurs clients parties-civiles. Ils peuvent formuler des demandes d’actes lors de l’instruction et plaider devant le Tribunal correctionnel ou la Cour d’assises.

L’objectif est que Justice soit rendue dans un délai raisonnable et que les parties civiles ressortent de l’épreuve judiciaire avec un commencement de sérénité et puissent quitter à terme leurs habits de victime.

Cette caractéristique forte de notre système juridique ne se retrouve pas dans le système « adversarial » de « common law » ( en Angleterre, en Irlande, aux USA, etc) ou les victimes sont marginalisées au pénal comme simples témoins.

Il faut garder à l’esprit que la constitution de partie civile est une des clés de voûte de notre procédure pénale

Alain Spilliaert

Lorsque notamment un crime est commis dans ces pays l’enquête criminelle est confiée à la police qui mène son enquête sans tenir informée la famille de la victime , sauf de manière épisodique. Elles sont largement mises à l’écart du déroulement de l’enquête criminelle et ne sont pas partie au procès pénal.

Dans le dossier archétype du meurtre en Irlande en décembre 1996 de Mme Sophie Toscan du Plantier; cette différence de traitement vis-à-vis des victimes a eu impact majeur à leur égard et sur le déroulement de la procédure.

Lorsque la Justice française a enfin pu récupérer le dossier criminel papier de la police Irlandaise fin 2008, les parties civiles ont pu contribuer à leur place au bon déroulement de l’instruction. Puis aux procédures devant la Chambre de l’instruction, la Cour de Cassation et enfin aux audiences devant la Cour d’assises de Paris ayant abouti dans un premier temps à un arrêt de condamnation par défaut motivé à 25 ans de réclusion criminelle pour meurtre prononcé par la Cour d’assises à l’encontre de lan Bailey le 31 mai 2019.

La procédure d’exécution du mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de Bailey par la Justice française est fixée pour être plaidée devant la Haute-Cour de Dublin à compter du 15 juillet prochain.

Dans ce domaine de la place et de la défense des victimes au pénal, notre modèle français paraît donc souvent plus humain et plus efficace que le modèle du système de common law.

Il faut certes « sauver nos institutions et notre vie politique » en corrigeant nos dérives, mais en gardant à l’esprit que la constitution de partie civile est une des clés de voûte de notre procédure pénale.

Voir l’article original : Le Journal du Dimanche